« On
ne devrait pas tenter de guérir une partie du corps sans traiter
l'ensemble, de même que l'on ne devrait rien faire pour soigner le
corps sans se préoccuper de l'esprit… Car l'erreur que commettent
aujourd'hui les médecins en soignant le corps humain, c'est qu'ils séparent l'esprit du corps. »
Platon, Dialogues (1)
Il est probable que tout thérapeute se pose et se repose la question sur ce que signifie : soigner.
Soulager la douleur, aider à guérir d'une maladie est la réponse qui s'impose immédiatement. Mais pourtant l'acte de soigner ne présente-t-il pas plusieurs niveaux et le sens de ce mot et de cet acte ne mérite-t-il pas d'être approfondi ?
La personne dans sa totalité
Cette question se posait déjà dans le Nei Jing, bible de la Médecine chinoise, où l'on distingue : « le grand ouvrier » du « petit ouvrier » indiquant deux étapes dans l'acte de soin.
Le travail du « petit ouvrier » n'est pas négligeable car il sait soulager immédiatement ? Or que demande d'autre celui qui souffre ? Les « médecins aux pieds nus » formés en quelques mois aux connaissances de base de la médecine chinoise furent de très utiles « petits ouvriers » parcourant les campagnes chinoises.
En quoi consiste la spécificité du «grand ouvrier » ?
Le « grand ouvrier » s'est entraîné à considérer le patient dans sa totalité et est capable, nous dit-on, par la justesse de son diagnostic, de discerner la cause, et par la pertinence de sa thérapie de la traiter, permettant ainsi au patient de retrouver toute sa potentialité, d'être « restitué dans l'être qu'il est appelé à être ».
Réparation de l'Unité
La notion de Qi -Souffle, centrale à tout le développement de la Médecine chinoise, porte la marque de l'indissociabilité de la matière et de l'énergie, du corps et du souffle, du corps et de l'esprit.
La science des Souffles ou Médecine chinoise nous enseigne, selon une logique imparable, les voies de circulation des Souffles, leurs états d'équilibre, leurs dysfonctionnements, comment observer, comment réparer.
Dans cette optique, soigner correspond non seulement à soulager la douleur ou traiter la maladie, mais aussi à participer à la réparation de l'Unité de la personne souffrante.
Une cause initiale
Selon la Médecine chinoise, douleurs et maladies sont les symptômes d'un désordre interne. Le désordre interne est issu d'un déséquilibre du Qi et du Sang, aspects Yang et Yin de nos Souffles et constitue la cause initiale de tout symptôme. En raison de l'enchevêtrement des inter-connexions de toutes les parties du corps et des rapports extérieur/intérieur, la cause initiale est souvent difficile à discerner. C'est pourtant elle que recherche et trouve le « grand ouvrier ». En effet, a-t-on réellement « soigner » si l'on n'a pas réparé les éléments perturbés qui ont permis au symptôme d'apparaître, si l'on n'a pas traité la cause ?
Un modeste praticien
Le praticien n'est qu'un aiguilleur des Souffles. Il n'a aucun pouvoir, il assiste, il est au service des puissances qui entretiennent la vie. C'est ce Souffle de vie qui répare, cela sans interruption et souvent sans l'intervention de qui ou quoi que ce soit.
La responsabilité du praticien se situe dans l'exercice correct de la mise en pratique de ses connaissances et dans la conscience et l'attention qu'il porte à cet exercice. « Il panse… mais c'est la vie qui guérit ».
Mais un homme de l'art
Aujourd'hui, il est bien connu que le médecin de l'empereur était aussi son cuisinier. L'on sait moins que la tradition voulait que celui qui se destinait à soigner soit également expert en arts divers : notamment ceux de l'écriture, de la poésie, de la musique. Chacun de ces arts étant appris dans l'objectif d'une plus grande maîtrise de soi, d'un plus grand équilibre et d'une harmonie plus juste. Car on pensait à l'époque qu'un homme équilibré avait plus de chance d'aider un patient à retrouver son équilibre qu'un homme agité de multiples passions.
Qu'il soit permis ici de rendre hommage au Professeur Leung Kok Yuen, qui est non seulement un médecin « grand ouvrier » mais aussi un calligraphe d'exception et un subtil poète. Il a aujourd'hui plus de 80 ans et vit à Vancouver.
Le patient
Mais qu'en est-il du patient ? Est-il aussi passif que le signifie le sens du mot Patient : qui supporte la douleur, qui est passif ?
En réalité le patient n'est pas passif : son malaise, sa douleur ou sa maladie sont une forme de réponse réactive à lui-même et au monde qui l'entoure. Il peut en avoir conscience mais il en est plus souvent inconscient. La pathologie s'engouffre dans un espace vacant quelque part dans l'ensemble Corps-Esprit. Elle est une plainte émise pour être entendue. Elle est un signal qui indique le lieu où réparer.
Equilibré et autonome
En régularisant les Souffles, en leur permettant une meilleure adaptation aux variations de l'environnement, le « grand ouvrier » se charge également d'aider le patient à prendre conscience de sa part de responsabilité dans l'apparition de son malaise, douleur ou souffrance. Il l'aide à trouver la cause et tente de lui donner les moyens de réparer selon lui-même et son unique nature. Il lui apprend aussi comment une petite maladie peut être l'occasion de renforcer son système immunitaire et ses moyens d'adaptation.
Les paroles ne sont pas dans tous les cas nécessaires : quand un organisme est rééquilibré, il trouve par lui-même tous les éléments pour retrouver et entretenir cet équilibre.
Si le « grand ouvrier » - ou même parfois le « petit ouvrier »- permet à un être humain de comprendre comment entretenir sa santé, l'aide à comprendre et à réparer naturellement ses affections, à épanouir son potentiel tant physique que mental, en un mot le conduit à une forme d'autonomie consciente, ne peut-on dire qu'il a correctement rempli sa fonction de soignant ?
« Quand les Souffles circulent sans entraves dans tout l'ensemble de l'organisme,
il n'y a pas de maladies. »
Nei Jing
(1) cité par Christine Wildwood Aromathérapie Ed. Librairie Médicis 1991
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